[Nous publions un article reçu de Anna-Corinne Bissouma, psychologue et pédopsychiatre, responsable du Centre M. Té Bonlé, Institut National de Santé Publique, Côte d’Ivoire. Toutes les photos sont sur sa aimable autorisation. Ici la traduction en italien. ]
L’autisme est aujourd’hui dans de nombreux pays occidentaux, une cause nationale, un problème de santé publique pour lesquels tous se mobilisent qu’il s’agisse des pouvoirs publics et du milieu associatif.
En Côte d’Ivoire, comme dans de nombreux pays africains, la situation est différente. La prise en charge des enfants en situation de handicap, surtout psychique, constitue un véritable problème sanitaire, socio-économique et culturel. C’est un contexte marqué d’une forte discrimination et stigmatisation envers les enfants en situation de handicap avec l’idée qu’un enfant qui ne parle pas n’est pas humain et que c’est un génie ou un sort maléfique qui est à l’origine de sa naissance, c’est l’idée qu’il n’est pas d’ici et qu’il doit être raccompagner. Par ailleurs, il existe peu de solutions de soins et une grande méconnaissance de la question du handicap. De plus, malgré le fait que la situation de handicap psychique bouleverse la vie quotidienne du jeune patient et son entourage, il n’existe pas de statistiques fiables et actualisées relatives à la population d’enfants en situation de handicap psychique en Côte d’Ivoire, permettant la mise en place de programmes d’actions ciblés, adaptés et efficaces.
Les données disponibles en la matière concernent tous les types de handicap et les individus de tout âge. Selon le Livre Blanc consacré à la problématique des enfants en situation de handicap en Côte d’Ivoire (MPFFE, 2012), le nombre de personnes concerné pourrait osciller entre 800 000 et 1 600 000, dont 25 655 enfants en âge de scolarisation. Par ailleurs, la série de crises socio-politiques qu’a traversé le pays depuis près de deux décennies a entrainé une forte augmentation du nombre d’enfant en situation de handicap psychique.
La situation socio-sanitaire de cette couche vulnérable s’est considérablement dégradée avec le pillage systématique, en 2011, du Centre de Guidance Infantile (CGI), la seule structure publique qui prenait en charge le handicap psychique de l’enfant et les conséquences psychosociales. Le CGI, 1er service de pédopsychiatrie, avait été ouvert en 1974 à l’Institut National de Santé Publique (INSP) et jusqu’à un passé récent c’était l’unique service du pays. Il faut aussi préciser qu’il y a 5 pédopsychiatres Côte d’Ivoire dont 2 exerçant à l’INSP pour une population de plus de 22 millions d’habitants avec plus de 50% d’enfants et de jeunes.
Devant l’augmentation du nombre d’enfants reçus au CGI pour troubles du développement (près de 30% des consultants), l’INSP a ouvert un centre spécialisé de prise en charge de l’autisme depuis 2017 : le Centre Marguerite Té Bonlé.
De nombreuses difficultés émaillent le soin qui était frappé de fatalisme et de sidération avec l’impression que la prise en charge était vouée à l’échec. Le soin est d’autant plus difficile que parents et soignants sont imprégnés des croyance et superstitions populaires africaines : Un enfant qui ne parle pas, ce n’est pas normal, il n’est du monde des vivants… coup du sort, punition divine, objet de désaveu et d’opprobre, l’enfant autiste témoigne de ce que le ventre de sa mère est sale. La mère se vit elle-même comme indigne et incapable d’avoir donné un « bon enfant » au père.
L’enfant en situation de handicap est porteur de malheur et non gratifiant. Il est vécu comme persécuteur par ses parents. Alors, notre travail c’est aussi d’accompagner la détresse parentale afin que ces derniers se remobilisent pour aider leur enfant. Ceux que nous recevons sont issus de la ville d’Abidjan, les familles ont un niveau de vie modeste à aisée. Elles peuvent s’investir dans une prise en charge qui nécessite que régulièrement ils fassent le trajet de leur résidence au centre car il n’y a pas de transport médicalisé pour les enfants. Même si les soins que nous offrons sont à tarif réduit (environ 31€/mois…100 à 200€/mois en institution privée), les coûts annexes sont nombreux (transport, adulte mobilisé pour accompagner et raccompagner l’enfant) et il n’y a aucune aide de l’Etat pour soutenir la prise en charge. Les enfants des milieux pauvres auront du mal à avoir des soins. Nombreux sont ceux d’ailleurs qui sont rejetés par leur famille, cachés et maltraités, sans jamais recevoir de diagnostic ni de soin.
L’autisme est toujours un trouble difficile à concevoir et à prendre en charge mais de l’espoir est apparu: nous tissons du lien autour du projet, les parents se mobilisent pour accompagner le projet. Au démarrage nous avions 4 enfants. Aujourd’hui 16 enfants sont accueillis. Ils ont tous des troubles sévères, la plupart sont non-verbaux avec un retard cognitif important et d’importants troubles sensoriels. Nous réalisons un bilan approfondi ce qui permet de mieux organiser la prise en charge.
Nous avons privilégié une approche thérapeutique, pédagogique et éducative ainsi nous essayons de mettre en place le modèle des Thérapies d’Echanges et de développement, les Ateliers-Classe; nous avons eu un aperçu des méthodes TEACCH et ABA mais pour l’heure nous n’avons pas encore de formations spécifiques.
Nous n’avons pas de financement, ni de budget mais nous avons notre volonté et notre désir de faire… Alors est née l’Association Autismes Côte d’Ivoire (2ACI) en janvier 2018, présidée par un parent pour nous soutenir dans le combat. Avec cette association, nous avons l’espoir de faire réellement bouger la situation.
Un mot de la situation ailleurs et des pays avec lesquels nous collaborons dans le cadre d’un réseau de professionnels qui se met en place depuis novembre 2017 après une rencontre à Grenoble (France), Afrique Autisme Alliance:
– Au Congo, Sr Ida Louvouandou se bat pour aider les enfants autistes accueillis au sein de l’Ecole Case Dominique. Il n’y a pas de pédopsychiatre et donc le diagnostic est difficile mais l’équipe d’éducateurs et d’enseignants apportent leur aide à des enfants rejetés du fait du handicap. Elle accueille 300 enfants dans des unités pédagogiques fonctionnelles (UPF). Une de ces UPF accueille 42 enfants à caractère autistique. Son équipe mène des activités sur Brazzaville et Pointe-Noire.
– Au Rwanda, Rosine Duquesne a ouvert un centre avec Autisme Rwanda qui fonctionne comme une école et elle y accueille 36 enfants et adolescents autistes. Il n’y a pas de pédopsychiatre et là-bas aussi le diagnostic est difficile. L’équipe met essentiellement en place une approche de type comportementale.
D’autres pays participent à ce réseau : la France, le Bénin, la République Démocratique du Congo, Madagascar, chacun a une expérience différente de l’autisme et nous voulons avancer ensemble.
C’est ensemble que nous serons plus fort pour nous former et pour réfléchir et partager nos pratiques professionnelles, pratiques que nous devons inventer, adapter. Ensemble, nous travaillons la question des savoirs reçus au cours de formations qu’il nous faut acculturer.
Alors, pour la cause des enfants autistes d’Afrique et de Côte d’Ivoire, nous nous battons.
Nous nous battrons et nous vaincrons.
Dr Anna-Corinne Bissouma
Pédopsychiatre, Docteur en Psychologie
Chef de service du Centre M. Té Bonlé
Institut National de Santé Publique, Côte d’Ivoire
annabissouma@yahoo.fr
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